Comment mieux accompagner les pères en périnatalité?
La FNAAFP/CSF, fédération nationale regroupant des services d’aide et d’accompagnement à domicile aux familles (SAAD Familles) ambitionne depuis longtemps de contribuer à alimenter une réflexion qu’elle appelle de ses vœux sur la question de l’accompagnement des pères en périnatalité.
Elle a ainsi organisé tout récemment, le 8 décembre 2022, un colloque sur le thème : « Accueillir les pères en périnatalité » animé par Michel Dugnat (Assistance publique des hôpitaux de Marseille). Dans l’amphithéâtre de la salle Laroque au ministère des Solidarités et de la Santé, plus de 20 intervenants prestigieux de tous horizons et plus de 200 professionnels de la périnatalité et de l’enfance, parmi lesquels une centaine de personnes des SAAD Familles, dont une cinquantaine de techniciennes de l’intervention sociale et familiale (TISF), ont pu partager réflexions théoriques et pratiques professionnelles sur la place des pères en périnatalité. Nous vous en proposons ci-dessous une synthèse rédigée par la journaliste Neijma Lechevallier.
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« Nous sommes heureux de vous accueillir pour ce colloque sur la place des pères autour de la naissance, introduit François Édouard, vice-président de la FNAAFP/CSF. Ce thème trop rarement abordé interroge nos représentations et nos manières de faire, encore très centrées sur la relation mère enfant dans les premiers temps de la vie. »
Cette journée d’échange et de réflexion est une invitation à interroger collectivement les raisons de cette relative invisibilité des pères et aux moyens pour imaginer des réponses adaptées, à l’heure où les hommes s’investissent de plus en plus auprès de leur bébé et de la maman, sans toujours être guidés, ni accompagnés comme ils le devraient.
François Édouard se réjouit de l’allongement du congé paternité récemment passé de 11 à 28 jours. Mais il rappelle qu’il en était question, dès 2001, et qu’au regard de plusieurs expériences étrangères, la France n’est pas en avance sur le sujet. Alors que la science confirme l’importance de la place des pères auprès des bébés, des progrès restent à faire.
Le juge et l’intérêt de l’enfant
Le juge pour enfant Édouard Durand, co-président du CIVIISE, partage son expérience de magistrat avec les nombreuses TISF présentes dans la salle. « J’ai notamment besoin pour rendre le jugement le plus protecteur possible de me représenter les enfants confiés à ma responsabilité, tout petits dans leur berceau et la façon dont on a ou non veillé sur eux. »
Le magistrat souligne l’importance des notions essentielles qu’il a acquises dans les tribunaux au contact des professionnels de la petite enfance : l’importance d’une figure d’attachement, quelle qu’elle soit, pour la construction de l’enfant, et la nécessité de se départir en tant que professionnel de ses propres représentations pour assurer réellement la sécurité de l’enfant.
Le magistrat rappelle les évolutions juridiques majeures dans le champ de la parentalité, liées aux évolutions dans la société. En particulier, la loi du 4 juin 1970, qui en introduisant dans le code civil un article stipulant que « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », provoque une petite révolution.
Dans la lignée de 1968, le législateur modifie le droit en passant de la puissance paternelle à l’autorité parentale, et en introduisant la notion d’intérêt de l’enfant. « C’est un changement de civilisation, qu’une société ne peut pas assimiler complètement en 70 ans, estime le juriste. Mais si nous restons centrés sur le méta besoin de sécurité de l’enfant, alors il peut grandir. »
Sylviane Giampino, vice-présidente du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) estime que la création d’une délégation aux droits des enfants à l’Assemblée nationale en septembre 2022 est un signe fort, mais que « la conscience de l’importance des enjeux liés à la toute petite enfance manque encore souvent à la décision politique ».
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Le père, une mère comme les autres ?
La première table ronde, consacrée au « père dans son rôle de prime éducateur » est ouverte par Gérard Neyrand, sociologue à l’université Paul Sabatier à Toulouse. Après avoir rappelé les bouleversements dans les répartitions de rôles parentaux depuis les années 1970, le sociologue affirme que « la nouvelle place des pères est la moins explorée et définie ».
Gérard Neyrand retrace les évolutions de l’émancipation féminine depuis les années 1970, et estime que « les difficultés que les femmes rencontrent encore à être sur un pied d’égalité avec les hommes dans l’espace public et professionnel a un équivalent masculin dans la sphère privée ».
Si le droit a intégré progressivement la nouvelle place des pères – notamment avec les notions de coparentalité, puis de garde conjointe et de résidence alternée -, dans les faits, ils ne sont pas encore les égaux des mères auprès des enfants. « En nous interrogeant sur nos propres représentations, nous accompagnerons encore mieux les familles », souligne-t-il.
En effet, sur le terrain, cette place paternelle ne semble pas toujours bien reconnue. « Dans les crèches, il y a peu de représentations de figures masculines et encore peu de place laissée aux pères », souligne Romuald Jean-Dit-Pannel, maitre de conférences à Besançon et psychologue en crèches. Il invite aussi les professionnels à s’interroger sur leurs pratiques.
« Une naissance bouleverse les pères et le couple qu’ils forment avec leur conjointe, rappelle le psychologue. Les hommes peuvent être en souffrance, être traumatisés par une naissance difficile, développer des troubles psychiques et des conduites à risque, qui sont encore trop rarement mises en lien avec cette période si particulière de l’arrivée d’un enfant. »
La place du père, l’impensé de la recherche
Côté recherche, nous explique Emmanuel Devouche, maitre de conférences en psychologie des nouveau-nés (Paris Descartes), peu de données existent sur les toutes premières interactions entre le père et son enfant. Et parmi celles-ci, certaines ont montré des modifications hormonales masculines en fin de grossesse – plus les pères sont investis, plus leur niveau de testostérone baisserait et leur niveau de progestérone augmenterait.
Il présente ensuite un projet réalisé par Caroline Boiteau qui a promené sa caméra dans les couloirs des maternités. Ses images révèlent l’intensité des échanges entre les papas et leur nouveau-né de quelques heures, un dialogue soutenu s’instaurant par la voix et le regard.
Le chercheur rappelle l’importance de ces liens premiers, fondements du développement de l’enfant et de l’adulte qu’il deviendra. Chaque père est porteur d’une histoire singulière, d’une identité et d’héritages qui le rendent plus ou moins disponible au bébé. « Des progrès ont été réalisés pour les accompagner, mais nous devons aller plus loin », estime-t-il.
Christine Castelain Meunier, sociologue au CNRS, rappelle les grandes évolutions réalisées depuis les années 1980. « Cette journée en est une illustration, se réjouit-elle. Mais le rôle des pères, autrefois très cadré dans un système traditionnel et patriarcal, reste à définir et à soutenir. La paternité évolue, de nouveaux repères collectifs sont à inventer. »
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Les pères aussi peuvent faire une dépression
La deuxième table ronde de la journée, consacrée à la place des pères dans les dispositifs d’accompagnements individuels des familles, est introduite par Sandrine Amaré, directrice formation supérieure et recherche chez Ocellia, sur le thème : « L’accompagnement des TISF vu par les pères ».
Ces professionnelles, qui entrent dans l’intimité des familles, ont une place particulière et privilégiée pour accompagner les pères en période périnatale. « Si le lien de confiance s’établit, elles peuvent devenir un point de repère pour les hommes, les soutenir et parfois aussi témoigner de leurs capacités auprès d’autres institutions », souligne l’intervenante.
« Les TISF ont un rôle central, abonde Anne-Laure Sutter-Dallay, pédopsychiatre à l’hôpital Charles Perrens (Bordeaux). Car insiste-t-elle, tous les jeunes pères ne vont pas bien. Entre 5 et 10 % souffriraient de dépression, 5 à 15 % d’anxiété à un niveau pathologique, d’autres encore de stress post-traumatique dans les mois suivant une naissance. Et 25 % de ceux dont la femme est hospitalisée pour dépression présenteraient des troubles importants, nécessitant une prise en charge. Au plan physiologique, précise-t-elle, il existe une possible vulnérabilité hormonale masculine, qui reste peu explorée, bien que l’on sache que lorsqu’un homme porte son bébé ou l’entend pleurer, ses taux d’hormones varient. »
Parmi les témoignages de professionnels entendus au cours de cette journée, le fait que les pères doutent souvent de leurs capacités à prendre soin de leur nouveau-né revient de manière récurrente. L’appel commun est de se mettre en ordre de bataille pour mieux les accompagner, notamment dans l’apprentissage des premiers gestes. Ceux ayant subi des abus dans l’enfance, comme en témoignent plusieurs psychologues, requièrent une aide spécialisée pour oser approcher leur enfant dans les gestes du quotidien.
Auprès des pères, avec et pour les pères
Pour les accompagner, des ressources existent et sont mises en place sur le territoire. Alain de Wazières, psychologue, de l’association d’aide à domicile du Douaisis (AFAD), accompagné de Mariana Seu, TISF, présentent un dispositif expérimental mis en place dans sa région en 2015 auprès de familles en situation de précarité.
Dans le cadre de ce programme, les TISF se rencontrent mensuellement, accompagnées par un psychologue, pour échanger sur leurs pratiques. Croiser les regards avec d’autres professionnels permet de « construire ses propres représentations, proches du réel, moins biaisées par son propre vécu ». Et donc de mieux accompagner les pères.
« Sur le terrain, dans des situations très complexes côté maternel, nous rencontrons des pères présents, attentionnés, attentifs à la maman comme à l’enfant, expliquent Sylvie Flèche et Stéphanie Abbatista, TISF dans le Vaucluse (AAFP 84). Ce ne sont pas des héros, simplement des pères de tous les jours, qui étayent leurs proches malgré leurs doutes. »
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Le congé paternité, où sont certains pères ?
Une doctorante ouvre la troisième table ronde de la journée : « Les congés pour les pères, un outil supplémentaire pour l’accompagnement des familles ? ». Alix Sponton, doctorante en sociologie (Ined et Sciences Po), s’est plongée dans les bases de données riches et fournies du Centre d’étude et de recherche sur les qualifications (Céreq).
Troisième table ronde : Samuel Robert, Michel Dugnat, Nathalie Casso-Vicarini, Danielle Boyer, Alix Sponton.
« Près de 7 pères sur 10 utilisent leur congé paternité (données sur congé à 11 jours), ces données n’étant pas très différentes de celles observées dans les autres pays européens, explique la sociologue. Mais que font les 30 % de pères qui ne prennent pas ce congé, qui leur revient pourtant de droit, quel est leur profil ? »
Ces hommes qui ne recourent pas à leur congé de naissance appartiennent à deux catégories sociales principales. Les uns, ayant le plus souvent des emplois précaires, hésitent à quitter le marché de l’emploi, même temporairement, les autres, aux revenus élevés, auraient, selon Alix Sponton, « intégré la notion de disponibilité professionnelle permanente ».
« Lors de nos échanges de la commission des 1000 jours, le congé paternité a été évoqué comme un préalable indispensable et puissant pour la santé globale des enfants, qui sont les citoyens de demain, et donc pour celle de toute la société », souligne Nathalie Casso-Vicarini, fondatrice de l’association Ensemble pour la petite enfance (EPEPE).
Les données scientifiques et les observations de terrain montrent qu’il faut du temps, à chacun des parents, pour tisser un lien émotionnel et de confiance avec son bébé, ce qui lui permettra de bien se développer, tout au long de sa vie. « J’espère que la dynamique enclenchée sur le congé paternité permettra à la France d’aller plus loin, comme d’autres pays », conclut-elle.
Danielle Boyer, ethnologue et responsable de l’Observatoire national de la petite enfance de la CNAF, présente les résultats d’une enquête menée auprès de pères au foyer en congé parental : en France, un homme sur 100 éligible au congé parental le prend. L’enquête explorait comment ces pères, rares, composent leur rôle dans la sphère domestique ?
Ainsi, s’ils sont en couple, leur compagne a souvent un salaire plus élevé que le leur, ce temps partiel est choisi de leur part. Leur disponibilité n’aboutit pas automatiquement à une répartition égalitaire des tâches ménagères avec la mère. En cause, des représentations ancrées sur la centralité de la relation mère-enfant et de leur moindre légitimité relationnelle et éducative conclut l’ethnologue.
« La réforme du congé paternité modifie l’accompagnement des TISF, qui accompagnent aussi les pères, reprend Samuel Robert, responsable de secteur d’une équipe en Loire-Atlantique (AAFP/CSF 44). La présence des papas permet un retour de maternité plus serein, ouvrant une période pour faire connaissance en douceur et créer du lien avec son enfant. »
Des projets innovants maillent le territoire
La dernière table ronde de la journée est consacrée à la place des pères dans les dispositifs d’accompagnements collectifs des familles à travers des éclairages locaux. Expériences de TISF, lieux d’accueil de la petite enfance ou maisons des 1 000 premiers jours, une question revient : quel est l’investissement des pères ?
Dans l’Aube, où le département s’est saisi de la question, une maison des 1000 premiers jours va ouvrir ses portes et un groupe de travail, en partenariat avec la CAF, a été créé pour explorer les raisons du recours ou non au congé paternité et la place des pères dans les actions en périnatalité sur le territoire. Géraldine Rentmeister, chargée de mission prévention, et Alexia Charpentier, cheffe de projet maison des 1000 jours au Conseil départemental de l’Aube, présentent notamment un dispositif expérimental de 20 heures d’interventions TISF prises en charge intégralement par le département, actuellement en cours de déploiement.
Un projet innovant dans l’Aude destiné aux pères et porté par une association d’aide à domicile (GDAAF) est ensuite présenté par sa directrice, Laëtitia Chevret-Garcia.
L’association, qui intervient auprès de couples séparés pour des actions de facilitation et de médiation, met un outil ludique, support de communication, à disposition des pères : le « kit de survie du papa solo ».
Jean-Luc Folliot, cofondateur de l’association « Et les pères ! », vient ensuite présenter son projet mené avec d’autres pères. Quelques pères ont au départ eu l’idée de créer un espace d’échange et de discussion pour les papas. Les attentes, bien que non exprimées, étaient fortes. L’association, née à Marseille, a grandi et accompagne aujourd’hui des pères dans toute la France.
Claire Gougeon, chargée de mission parentalité, Julien Gorrias et Félix Redon, pères usagers de crèches parentales, de l’association des collectifs enfants parents professionnels (ACEPP) viennent ensuite témoigner de leurs expériences réussies de crèches associatives parisiennes, cogérées par les parents et des professionnels.
Le projet de la maison des 1000 jours ouverte à Arras en 2020 est ensuite mis en lumière par Françoise Brenienek, facilitatrice. Cet espace, maillon entre parents et professionnels, est un lieu de prévention et de dépistage, avec des groupes de pairs. De plus en plus de pères viennent spontanément dans cette maison pour partager leur vécu, exprimer des difficultés et, parfois, demander de l’aide.
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Présentation du livre l’Odyssée des 1000 premiers jours
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Présentation du l’application 1000 premiers jours
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Les pères ont besoin d’un accompagnement comme les mères
En conclusion, Yamina Omrani, conseillère en politiques familiales et sociales de la CNAF, souligne que « la place des pères en périnatalité est un sujet très important, mais peu abordé, tant au niveau de la recherche que des thématiques petite enfance, en particulier au niveau institutionnel : des progrès sont nécessaires pour encore mieux accompagner les pères ».
« Si les mères peuvent être vulnérables dans cette période si particulière de l’arrivée d’un enfant, n’oublions pas que les pères aussi, conclut François Édouard. Ils ont besoin d’être accompagnés et étayés, grâce à des projets comme ceux qui nous ont été présentés tout au long de la journée. C’est un immense et beau défi pour le futur. »
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Remerciements
Cette journée a été soutenue par le ministère des Solidarités et de la Santé, la CNAF, AG2R la mondiale, l’Alliance francophone pour la santé mentale périnatale et Crealis Medias.